Processus et circularité

​​ENTREE THEMATIQUE - PROCESSUS ET CIRCULARITE

Références bibliographiques Pour aller plus loin

La recherche-action… une démarche complexe qui mutualise l’implication des acteurs et la réflexivité 

Par Marie-Claire Rey-Baeriswyl, Professeure à la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)/Haute Ecole de travail social Fribourg

La recherche-action évolue dans des contextes dynamiques ; elle s'origine dans des besoins réels, prend place dans les dynamiques socio-politiques et institutionnelles concernées ; elle évolue, conditionnée par ces réalités et leur complexité. D'un point de vue méthodologique, elle se développe à l'intersection de processus qui interagissent et se mutualisent. Elle s'offre aux acteurs comme une démarche interactive qui leur permet une implication négociée. Elle progresse dans une dynamique de circularité par phases interdépendantes, dans une temporalité non linéaire; elle requiert une logique conceptuelle et méthodologique, faite d'inventivité, de flexibilité, de récurrence. Cet article souhaite éclairer quelques enjeux des processus collaboratif et scientifique ainsi que le défi que représente leur articulation à chaque fois singulière.

Processus interdépendants et circularité

La recherche-action évolue dans des contextes dynamiques ; elle s'origine dans des besoins réels, prend place dans les dynamiques socio-politiques et institutionnelles concernées ; elle évolue, conditionnée par ces réalités (Lavoie, L., Marquis, D., Laurin, P., 1996 : 39-41) et leur complexité. D'un point de vue méthodologique, elle se développe à l'intersection de processus[2] qui interagissent et se mutualisent. Comme le rappelle Resweber, « La recherche-action met en place une logique dialectique, circulant entre la théorie et la pratique, entre le travail des usagers et celui des experts, entre les figures du transfert et les opérations d'apprentissage, entre le savoir individuel et le sujet social » Resweber, J-P. 1995 : 5). ; Michel Liu (M. 1997 : 83) préfère quant à lui la notion de « démarche » qui prend en compte et inclut la subjectivité des acteurs qui sont à même « de redéfinir la fin et les moyens en fonction du chemin accompli, de l'état de la situation ».

La recherche-action s'offre ainsi aux acteurs comme une démarche interactive qui leur permet une implication négociée. Elle progresse dans une dynamique de circularité (Goyette, G., Lessard-Hébert, M., 1987 : 168 ; Barbier, R., 1996 : 60 ; Lavoie, L., Marquis, D., Laurin, P., 1996 : 145-159) par phases interdépendantes, dans une temporalité non linéaire; elle requiert une logique conceptuelle et méthodologique, faite d'inventivité, de flexibilité, de récurrence. Une « souplesse méthodologique » (diversité de techniques adaptées, de méthodes innovantes), est en effet requise, à chaque étape, afin de garantir l'implication des différents acteurs, rendre possible leur participation et d'assumer la conception du temps non linéaire de la R-A (cf. Goyette, G., Lessard-Hébert, M., 1987 : 158-163). 

Les acteurs et le processus collaboratif

Parce qu'elle est une recherche partenariale, où les acteurs sont sujets et non objets d'étude, le processus collaboratif est central. Il va réguler la coopération d'acteurs concernés et de parties prenantes qui s'impliquent tout au long, afin de poursuivre l'objectif dual qui la caractérise, de résolution de problèmes et de production de connaissances fondamentales (de mode de recherche fondamentale et de projets innovants, Liu, M. 1997 : 84-87, 329). Ce double objectif engendre une grande complexité par l'articulation adaptée en continu, d'actions de changement et de méthodologies d'étude.

Ce processus collaboratif multidimensionnel, nécessite autant de clarté éthique, relationnelle, organisationnelle que politique et technique. Même s'il n'est pas linéaire, il passe par diverses étapes telles que notamment, la contextualisation (analyse de la demande, mise en contexte, Barbier, R. 1996 : 85), l'identification des acteurs pertinents, leur mobilisation et le choix des formes de participation, leur intéressement (Audoux, C., Gillet, A., 2011 : 8), la structuration progressive du dispositif de collaboration qui se négocie explicitement en liens avec l'élaboration conjointe des objectifs de la R-A et la problématisation de l'objet d'étude.

Contractualisé, ce dispositif permet de configurer les rôles et de confirmer les modes de collaboration et d'action (notamment largeur, profondeur de la participation, degré de contrôle sur le processus lui-même ; modes de représentation, de délégation ; etc.) rendant ainsi possibles la coopération, la mutualisation des ressources et surtout, le processus de co-construction sociale. Barbier, R., 1996 : 85 y inclut le « système des réciprocités, (…), les enjeux financiers, la temporalité, les frontières physiques et symboliques, (…) le code éthique de la recherche. » Ces conditions réalisées, la R-A peut se déployer comme un espace tiers, spécifique, au travers d'activités coopératives multiples (réflexions collectives, analyses, prises de décision, formes d'évaluations, etc.). Ces diverses activités sont supportées par des méthodes, des techniques et des instruments inspirés de méthodologies didactiques, participatives qui demandent une compétence d'ajustement aux divers publics participants. Le processus de collaboration s'achève une fois que la R-A est aboutie et que l'espace tiers créé par celle-ci se pérennise ou se referme.

Intéressement, légitimités, implications, renversement des positionnements… quelques enjeux du processus collaboratif

Les enjeux qui en découlent sont multiples, autant scientifiques et méthodologiques, relationnels, logistiques qu'épistémiques : à partir de la reconnaissance des intérêts spécifiques (pour certains divergents) des acteurs, de leurs légitimités, mettre à jour des objectifs qui font consensus ; tenant compte des référentiels épistémiques propres, traduire et être capables de favoriser la construction d'un « monde partagé » (Audoux, C., Gillet, A.,  2011,  8-13) ;  rendre possible la co-construction des savoirs grâce à une circularité voulue qui inclut les enseignements produits au fur et à mesure et les utilise pour guider tant le changement que la production de connaissances renouvelées ; garantir la participation et le respect des différences tout au long de la R-A, en mobilisant des ressources (temporelles, expertises différentes, légitimités, compétences), multiples et inégales, en faisant face aux modifications possibles du réseau des acteurs impliqués, notamment pour des raisons politiques, institutionnelles (Liu, M. 1997 : 157), etc.

Probablement, l'enjeu le plus central pour le processus collaboratif reste le renversement des positionnements que le R-A invite à réaliser : les participant-e-s, qui peuvent être multiples, situés dans des rapports sociaux inégalitaires (professionnel-le-s, clientèles, politiques, etc.), deviennent des acteurs-chercheurs (Bazin, H., 2018 : 159), des chercheurs collectifs (Barbier, R., 1996 : 72), des agents de la R-A en équipe pluridisciplinaire (Lavoie, L., Marquis, D., Laurin, P., 1996 : 40) ou encore des sujets de l'élaboration de l'objet de recherche et des méthodes (Goyette, G. , Lesshard-Hébert, M., 1987 : 137-138). La R-A permet ainsi un certain effacement des rôles, une collaboration plus égalitaire (Mayer, R., Ouellet, F., St-Jacques, M.-C., & Turcotte, D. 2000 : 288) et l'intersubjectivité par le croisement des perspectives des acteurs (Tochon, F.V., 2004 : 50).

La R-A invite à la construction de relations plus horizontales entre acteurs et chercheur/se-s qui effectuent des apprentissages mutuels (Liu, M. : 85), dont les savoirs différents sont pris en considération, à l'expérience d'un nouveau rôle pour les chercheur/s-e-s constitué d'écoute sensible, empathique et multi-référentielle (Barbier, 1996 : 59-72) et à l'avènement d'une posture spécifique de « passeurs » entre des mondes sociaux différents (Petit, S., Soulard, C.-T., 2015 : 97).

Les étapes et le processus conceptuel  

La R-A se déroule selon un processus scientifique connu, cependant largement conditionné par les exigences et les spécificités de la co-construction et des apprentissages collectifs qui le rythment et l'influence. L'objet de recherche, sa problématisation vont ainsi se bâtir dans une dynamique dialogique entre acteurs concernés et chercheur/se-s. Cette démarche inclut l'élaboration commune de questions ou d'hypothèses de recherche significatives, le design de recherche prenant parfois la forme d'un devis quasi-expérimental et provisoire laissant la place à cette plasticité (Goyette, G., Lessard-Hébert, M., 1987 : 168), ainsi que le choix de stratégies de récolte de données ajustées (choix des publics et techniques facilitant la participation). En R-A, les récoltes seront définies, voire même réalisées, de concert ; les analyses peuvent également être l'opportunité de coopérer conjointement à l'interprétation des données en prenant appui sur cette approche plurielle. Enfin, le rapport peut être, même si rarement, l'expérience d'une écriture collective.   

Hybridation de connaissances, médiation de référentiels épistémiques différents, mouvance de l'objet … quelques enjeux liés au processus de recherche

De la définition des objectifs et des questions de recherche en passant par la configuration des techniques de récolte de données au choix des modes de diffusion, la confrontation de différentes rationalités, les diverses compétences à conjuguer, créent des défis particuliers. Parce qu'elle est collaborative et qu'elle fait dialoguer des mondes sociaux différents, la R-A va s'autoréguler en continu, produire des formes d'hybridation de connaissances (tant entre des savoirs disciplinaires qu'entre des savoirs scientifiques et pratiques, Petit, S., Soulard, C.-T., 2015 : 96-97), assurer la confrontation et la médiation de référentiels épistémiques différents (Audoux, C., & Gillet, A., 2011 : 12-13) pour développer cette co-construction des savoirs.

Portée par sa dynamique circulaire, son « jeu dialectique et itératif réflexion/action » (Bourassa, B., 2015 : 34) à chaque fois singulier, la R-A porte en elle encore d'autres défis : la mouvance de l'objet d'investigation (Alary, J., 1988 : 221) ; l'effort à produire pour faire évoluer des savoirs parfois contextualisés vers des connaissances plus génériques ; la difficile mise en œuvre de l'écriture collective (maîtrise différente des codes d'écriture, inégalité du temps, sentiment d'inanité, Alary, J., 1988 : 209-219 et Barbier, R., 1996 : 72) ; l'épreuve de la mise en discussion - de la diffusion - des résultats, etc.

Des particularités la conditionnent aussi comme la durée, difficile à estimer, requise par l'implication d'acteurs aux temporalités diverses, la mise en œuvre d'une R-A créant « des réseaux d'échanges complexes dans la situation dans laquelle elle s'insère (…) cette construction revêt une importance capitale mais elle n'est ni régulière, ni prévisible. » (Liu, 1997 : 156). Autre élément à prendre en compte, le coût engendré par ce temps collectif et commun nécessaire, sa flexibilité obligatoire, l'incertitude quant à l'implémentation des aboutissements. Ainsi, parce qu'elle articule des processus interdépendants, à travers plusieurs dispositifs, la R-A demeure d'une complexité unique et sa conduite implique de résoudre, en continu, de nombreux défis de registres différents.

Bibliographie indicative

Audoux, C., & Gillet, A. (2011). Recherche partenariale et co-construction de savoirs entre chercheurs et acteurs, Revue interventions économiques, 43, URL : http://interventionseconomiques.revues.org/1347

Bazin, H. (2018). Les enjeux d'une science citoyenne au cœur de la société, in Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale, coordonné par Hugues Bazin, Cahiers de l'action no 51-52, Jeunesses, pratiques et territoires, Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, Observatoire de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (INJEP).

Bourassa, B., (2015). Recherche(s)-actions(s)S : de quoi parle-t-on ?  in Les chercheurs ignorants, Les recherches-actions collaboratives, une révolution de la connaissance. Paris, France : Presses de l'EHESP.

Goyette, G., Lessard-Hébert, M. (1987). La recherche-action, ses fonctions, ses fondements et ses instrumentations. Montréal : Presses Universitaires du Québec.

Lavoie, L., Marquis, D., Laurin, P. (2008). La recherche-action : théorie et pratique : manuel d'autoformation. Sainte-Foy : Presses Universitaires de Québec.

Liu, M., (2002), Fondements et pratiques de la recherche-action. Paris : L'Harmattan.

Mayer, R., Ouellet, F., St-Jacques, M.-C., & Turcotte, D. (2000). Méthodes de recherche en intervention sociale, Boucherville, Canada : Editions Gaëtan Morin.

Petit, S., Soulard, C.-T. (2015). Rencontres par-delà les frontières : l'analyse du dispositif pour et sur le développement régional. Dans les chercheurs ignorants (dir), Les recherches-actions collaboratives, une révolution de la connaissance. Paris, France : Presses de l'EHESP.

Resweber, J-P. (1995). La recherche-action. Paris :PUF.

Tochon, F.V. (2004). La recherche-intervention éducative. Montréal : Presses de l'Université du Québec.

  

Pour aller plus loin

Audoux, C., & Gillet, A., (2011). Recherche partenariale et co-construction de savoirs entre chercheurs et acteurs, Revue interventions économiques. https://journals.openedition.org/interventionseconomiques/1347

Bazin, H., (2018). Les enjeux d'une science citoyenne au cœur de la société, in Hugues Bazin (dir.) Recherche-action et écriture réflexive : la pratique innovante des espaces comme levier de transformation sociale, Cahiers de l'action no 51-52, Jeunesses, pratiques et territoires, Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, Observatoire de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (INJEP). http://injep.fr/wp-content/uploads/2019/01/CA_51-52.pdf

De Champlain, Y. (2011). L'écriture en recherche qualitative : le défi du rapport à l'expérience. Recherches qualitatives, coll. hors-série « les Actes » association pour la recherche qualitative. http://www.recherche-qualitative.qc.ca/documents/files/revue/hors_serie/hors_serie_v11/RQ_HS11-de_champlain.pdf

Paturel, D., & Simon, A. (2011). Projets de développement des territoires et participation des habitants : le diagnostic partagé, outil méthodologique via l'intermédiation sociale. Pensée plurielle, 28 (3). https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2011-3-page-79.htm